Maintenant, il est couché dans un énorme tube ouvert des deux côtés. Posé sur une couche de mousse, il conserve le bras tendu, conservant cette position rendue célèbre par Superman. A la seule nuance que mon ami ne vole pas.
Il avait pourtant volé, dernièrement. D’après lui, cette grâce aérienne n’avait duré que deux secondes, le temps qu’il soit projeté de la trottinette qui le supportait jusqu’au sol (voir (presque) ici). La main serrée dans une attelle, il me détailla ce transport comme merveilleux, parfait contraste avec la chute, l’écrasement au sol ayant été brutal au point de lui rompre l’os crochu.
Aujourd’hui, il passe une IRM de contrôle et, comme il ne peut conduire, je l’accompagne. Nous nous trouvons dans une section spéciale de l’hôpital local, un endroit calme, propre et lumineux, où nous ne patientons pas des heures. Dommage, tant la secrétaire, qui nous fait face, est magnifique. Mon ami ne cesse de lui demander si elle souhaite d’autres documents administratifs en louchant vers son décolleté, tandis que, fasciné, je projette de l’alpaguer quand je serais débarrassé de ce boulet. Heureusement, un garçon portant blouse blanche vient le chercher. Malheureusement, peu dupe de mon manège, le photographe, comme il se présente lui-même, me prie de les accompagner. Il nous fait rapidement le briefing : l’IRM fonctionnant grâce à un aimant surpuissant, il convient d’ôter toute trace de métal, bague, montre, ceinture, sous peine de brulures ou arrachements, plan gore à la Carcass. Nous nous rendons dans la salle réservée à cet effet. Démétallisé, mon ami se fige alors dans la position voulue. Après quelques consignes, l’opérateur lui fixe un casque stéréo sur la tête. Il revient derrière l’épaisse vitre qui sépare l’énorme tube de la zone de commandes.
Sans s’intéresser à moi, il commence ces manipulations. Le bruit qui nous parvient est proprement assourdissant.
- Vous comprenez pourquoi je lui ai placé ce casque ?
On dirait une rythmique de techno hardcore débridée, le genre de production freak tournant à 450 bpm. L’ensemble est saturé au delà de l’entendement.
- Qu’est-ce que vous pouvez lui passer pour qu’il supporte ça ?
Le photographe m’indique alors une pochette de CD posée sur un coin de sa table de commandes. Un collage, étrange, pas forcément harmonieux, l’illustre.
- The Faint. Un groupe américain assez dérangé. Chaque jour, je sélectionne quelques disques dans la banque, et je tache de les passer aux personnes adéquates. Votre ami me paraît mur pour entendre celui-ci.
- A quoi ça ressemble ?
- A ça. Matez le clip.
- Vous pouvez pas m’en dire plus ?
- Disons que leur Fasciination (avec deux i, oui oui) est un opus voué au pop-rock digital, illustré par de bien bonnes chansons, comme l'illustre The geek were right, Psycho, imaginez Blur qui aurait avalé un sampleur, ou Forever growing centipedes. Il reste toutefois ouvert à des méditations quasi introspectives, style I treat you wrong, ou l’expérimentation traitée old school, genre Fulcrum & lever. Leur démarche se veut intellectuelle, mais leurs morceaux trahissent leur passion viscérale pour la sueur et l’immédiateté. The Faint est en fait l’une des rares formations arrivant à produire des titres aussi putassiers qu’underground. Chez eux, la basse, massive comme chez New Order mais réglée aussi lourde que chez une formation death métal, s’exprime au même niveau que les claviers, parfois horripilants. La voix est claire, somme toute assez froide, teintée d’un étrange accent anglais. En somme, tout prédispose à faire de Fasciination un total raté, mais ce disque, tout aussi bancal soit-il, dispense quelque chose de dérangeant qui précisément attire. Même sautillant, il reste un rien malsain, à l’image de son visuel. C’est ce qui fait son charme, une attirance congénitalement viciée.
- Et ce sont les mêmes jugements que vous appliquez à mon ami ?
- Sauf votre respect, oui.
Là-bas, l’ami, main tendue sous l’aimant géant, subit le concassage gabber sans broncher.
Lorsqu’il sort du tube, sa première réaction est de rassembler ses affaires aussi vite qu’il peut.
- Pas trop long ? T’as aimé le son ?
- Quel son ?
Sur ce, il part en courant, certainement demander pour la soixantième fois à la secrétaire s’il lui a bien remis sa carte vital.
- Il ne se renseigne pas sur l’état de sa fracture ? s’étonne le photographe.
- Finalement, je pense que vous avez raison quant au choix du disque pour l’homme, je réplique en embarquant discrètement Fasciination.