Il est communément admis qu'un morceau de sucre pèse 5 grammes. Or, suivant une directive européenne datée du 11 avril 2009, ce poids pourrait être laissé à la liberté des industriels, qui auraient licence pour le faire varier à l'envi. Un morceau de sucre de 4 grammes, un autre de 6, et le consommateur d'être perdu dans ses repères.
Sans conteste, cette libéralisation des poids et volumes d'une centaine de produits courants aura un effet aussi dévastateur que le passage à l'euro. Certains anciens se souviennent encore du changement de monnaie, et tous les effets pervers que cela a engendré. Il se pourrait désormais qu'il en soit de même pour le moindre de nos achats, avec une livre de 500 grammes ne pesant plus que 480 ou un yaourt, jadis conditionné à 125g, se retrouvant avec seulement 120 unités sur la balance. Bien entendu, les emballages n'évolueront guère et les fabricants indiqueront en caractères miniatures les conditionnements. Ami consommateur, tu es parti pour être lésé dans des perspectives jusqu'alors rarement envisagées.
L'être humain est de toute manière l'objet de tant d'escroqueries qu'il ne devrait pas plus protester que cela devant cette louche évolution des réglementations. Après tout, il ne s'agit que de nourriture et biens basiques, dont l'inflation fera le bonheur de quelques groupes âpres au gain. Il en va autrement du reste des arnaques fomentées sur cette bonne vieille planète. Difficile accepter mourir, par exemple, qu'importe visiblement la dureté du passage sur terre. Nous nous tenons pour des machines à survivre, et n'envisageons pas être des produits à durée de vie limitée. Le Père Noël, cette espèce de sale mythe inventé juste pour briser le cœur des enfants et les préparer à la filouterie généralisée, n'existe pas, mieux vaut que vous l'appreniez. L'amour est une autre sale source de désillusions. Bref, ce ne sont pas les épinards surgelés mis en sachets de 950g au lieu d'un kilo qui vont creuser le moral des troupes, vu que...
Dans ce champs de bataille, qu'est-ce qui peut donner la force de passer outre et continuer à avancer ? Il convient en premier lieu de s'accrocher à des choses qui ne changeront jamais. En cela, les disques, s'ils sont précisément choisis, sont les meilleures compagnies au monde. Ils révoltent, font rire, tirent des larmes, gonflent de confiance. Et autant les lives donnent lieu à autant de révélations que de déceptions, autant les albums studio procurent des sentiments intemporels. En ce sens, Pink Mountaintops parvient avec Outside love à imposer une œuvre conçue pour durer. Dégageons au préalable le terrain. Un album intitulé En dehors de l'amour ne va pas pousser l'auditeur à attraper sa cocotte pour préparer une onctueuse rougail ni vous accompagner au cours d'une enquête policière. Non, Outside love va simplement vous briser le cœur en beauté, tel que Absentee parvient si bien à le faire, par exemple. Il le fera, année après année, si bien que chaque écoute remémorera de tristes moments. Ceux qui n'ont nulle peine à expurger n'y trouveront sans doute aucun intérêt, les autres auront du mal à s'en détacher.
Cet appel au lacrymal est d'autant plus imparable qu'il recycle magistralement des effets millésimés. Echappés de Black Mountain, groupe forgeant un rock lourd(ingue), Stephen McBean, ici maître à bord, se souvient des meilleurs moments de l'histoire musicale américaine. Il ressuscite Neil Young et introduit dans ses créations la délicieuse emphase des Bodies Of Water (avec lesquels il partage quelques sérieux gènes du malheur épique). Entre rock, blues et americana (ce gentil terme fourre-tout), il peint un paysage lumineux, bouleversant, tutoyant rien de moins que le génie pop sur les deux titres placés en ouverture (Axis : thrones of love et Execution).
Dès lors, le litre de gasoil peut bien grimper à 7€ le litre, la baguette de pain être commercialisée en conserve et les fruits et légumes sur ordonnance, nous conserverons un de nos pans préférés de grandiose déprime.
