Je m'interroge souvent sur les éléments visant à réussir un mix. Peut-être parce que cette idée me taraude, je me demande s'il vaut mieux bâtir un set cohérent ou pousser les disques à la vas-y comme je t'envoie. Je pense souvent, à l'instar de, disons Ellen Allien sur Boogy Bytes Vol.4, qu'un set doit être quelque chose d'harmonieux et précisément pensé. Soulignons que j'ai passé une partie de ma (longue) adolescence dans une cave, à écouter des mixs techno. Les mecs bossaient sur Technics, maniaient du vinyle et tentaient désespérément de parfaitement enchaîner, fondre, marier, un disque à l'autre. Un travail d'orfèvre sonore auquel nous assistions en grillant des joints à la chaîne. Se posent alors deux problèmes: celui de la technique proprement dite et celle du matériel usité. Un mix cohérent exige évidemment des morceaux se classant peu ou prou dans le même genre. On peut ainsi ouïr des mixs chirurgicalement réalisés mais très ennuyeux en raison de leur sélection. Histoire de goût et de couleurs…
Un de mes potes, qui me faisait écouter les répétitions de nouvelles chansons de son groupe, éclaircit sans le savoir la question de la seconde option. Lorsque je lui fis remarquer que la structure de leurs morceaux restait invariablement la même, il eut cette réponse: "On s'en fout, nous on veut faire faire des bonds aux gens." Leur souci d'efficacité se concrétise par l'écriture d'une musique codifiée, un style transgenre mais précis, qui démonte avec la même rigueur ma tentative d'analyse. Pas vraiment : chaque titre comporte des parties bien précises, alternance de moments forts, respirations, section libre, final effréné. Si chaque titre peint un monde, chaque mix s'avère donc une seule chanson. Four Tet a donc écrit une superbe chanson de 20 titres, mix qui se gausse aussi bien des frontières que des lois de l'apesanteur.
Jolie pirouette cacahouète, n'est-il pas? Son set, foutraque, érudit et enthousiasmant, comporte plusieurs phases, montées, descentes, variations. Il met surtout à jour de superbes pépites, signées de noms quasi inconnus du plus grand nombre. Les ayant déjà entendu, beaucoup réagiront néanmoins comme avec les classiques de la littérature, que tout le monde avance avoir lus. J'avoue spontanément qu'en 2006, lorsque j'ai reçu ce promo, entre le goût très particulier du visuel, et l'étude de ces noms, j'ai grimacé. Deux ans plus tard, je l'écoute encore.
Je ne l'aime pourtant pas entièrement. Déjà, dans son souci (ou plutôt son désir) d'éclectisme, F.T a placé un titre jazz assez éprouvant pour continuer à prolonger mon aversion du jazz. Il a aussi inclus quelques morceaux hip hop pas franchement tuants, genre de créations linéaires, typiques des années 90, pas d'idées renversantes, pas de mur du son, du flow sur du beat.
Le reste est nettement plus intéressant. F.T a choisi des morceaux qui, quelle que soit leur époque, s'accorde à l'idée de futurisme. Sons travaillés, absence de formalisme, projections outre classicisme. Pas forcément fun, on est souvent pas loin de Pierre Henry, mais l'ensemble est si riche en oxygène qu'on sort du mix ragaillardi. Du surcroît, même s'il ne mélange pas toujours les pistes entre elles, F.T créé des enchaînements assez magnifiques. Celui de l'ouverture, mariant le bizarre David Behrman à l'electro folle de Syclops permet de se faire une idée du potentiel du bonhomme. Le second enchaînement fait évoluer, pas sans classe, les bruits distordus des Syclops à la soul ultime de Curtis Mayfield. A ce moment-là, l'auditeur le moins réveillé comprends que ce n'est pas ce blagueur de Yorke qui est aux platines.
Tout continue de la sorte. De l'avant garde vintage (Gong), du distordu (Akufen), du bizarre (Model 500), de la transe (Animal Collective), du référentiel (Cabaret Voltaire), du digital (So Solid Crew). Ce tout mécanique ménage toutefois de dives surprises organiques, comme Shona People of Rhodesia, du traditionnel pour les férus de new age, et du pop-rock. Le choix de F.T est en cela magistral, Quickspace Supersport signant avec Superspace une chanson fatale.
C'est frais en dépit de l'âge des titres, varié pas pour se la jouer cool, un rien arty mais intrinsèquement viscéral. En ces temps de formalisme et de recadrage général, n'hésitez pas à choper ce mix, rare à tous les sens du terme.