Finalement, qui aurait dit que ce minable article sur les 10 meilleurs albums heavy de tous les temps allait à ce point me titiller? Car, après m'avoir poussé à décrire les 7 plus mauvais m'étant passés entre les mains au cours de ma carrière de hard rocker, me voilà obligé de parler des meilleurs. Ceux qui ont résisté aux multiples tris, que je n'ai pas revendus et qu'il m'est bien difficile de déloger du lecteur, où ils peuvent tourner en boucle des semaines entières.
AC/DC – Highway to hell (1979)
14 ans, ma tout première fois. Il paraît que la prime expérience sexuelle détermine la suite de sa vie amoureuse. Mon vrai dépucelage musical a été doux et râpeux, envoûtant et lubrique, intense et puissant. Love hungry man et Girls got rythm, comment aurait-il pu en être autrement? Certains déplorent le côte surproduit de cet opus, au son trop américanisé. J'aime ses atours lascifs et généreux. J'aime tout AC/DC... jusqu'à Brian Johnson. Pour ne pas repiquer le premier papier, rappelons que j'aime aussi les premiers Motorhead, Trust, Maiden et un paquet d'autres trucs heavy classiques que je n'ai jamais possédé en vinyle. Ah, j'apprécie aussi un Raven All for one (1983), mais pas la place d'en parler.
Rose Tattoo – Rose Tattoo (1980)
Il se disait qu'en Australie, un autre groupe faisait secouer les crinières. J'ai déniché cette K7 de Rose Tatouée sur le marché. Un truc d'occasion, déjà usé mais inusable. Produit par la fine équipe qui se chargeait des AC/DC, ce premier album est une sorte de phénoménal concentré rock'n'roll. Une musique frustre, brute et rude, récurée jusqu'à la trame puis passée au papier de verre garage. Cet objet venu d'ailleurs m'a fait rêver de chauve à la voix barbelée et de combats de guitares tout sauf aériennes. Version punk de la pompe AC/DC, Rose Tattoo alliait sans fioritures le gras et le sec, le sucré et le saumâtre. Bernie Bonvoisin a magnifiquement illustré The butcher and Fast Eddy, un des 10 titres de cette bible, dans l'intolérablement séminal Les démons de Jésus, son premier et meilleur film. Plus prosaïquement, je propageais la bonne parole des kangourous en arborant un t-shirt à leur nom (comme je l'ai fait pour AC/DC, Motorhead, Maiden, Venom...). Grosse impression (dommage que ce transfert blanc ait été imprimé… sur fond blanc).
Ted Nugent – Intensities in 10 Cities (1981)
Je déteste les soli et je fuis toutes poses clichées et pourtant j'aime ce disque de Ted Nugent. Sacré contorsion mentale, hu? Derrière tout cela, une histoire. Un soir, mes parents vont manger chez des amis et nous mènent, mon frère et moi. Le gaillard, tapissier, a lui-même des fistons. Plus âgés, ils jouent dans un groupe de hard. Ils sont là. Bien sûr, je bave devant ces héros qui manipulent guitare et basse. Eux se foutent de ma gueule, surtout quand j'avance le nom d'AC/DC. Dans leur chambre, les chevelus me font écouter des tas de groupes, à les entendre tous meilleurs que les australiens. Foutus glands. Toujours est-il que quelques jours plus tard, j'achète Intensities in 10 Cities, le seul disque disponible de Ted Nugent au Géant Casino local. 42 francs (l'étiquette est toujours sur la pochette). Ce live me fait un effet mitigé, en raison de son attitude rock bas de front, ses soli en cascades et sa sonorité. Mais il a un truc. Il recèle une véritable emphase jubilatoire qui me fait outrepasser ses limitations. Puis il a un atout magique, une chanson fabuleuse: My Love Is Like A Tire Iron. Le genre de titre à coller la chair de poule et accélérer les battements du cœur. Et ce visuel! Bref, j'ai tellement écouté ce vinyle que je n'aurais pas dû aimer qu'il craque comme pas croyable. Mais je m'en tamponne. Vais pas lâcher une œuvre que j'ai payée 42 francs.
Exodus – Bonded by blood (1985)
Carrefour, 1985. C'est au sein de cette grande surface, où mes parents m'avaient trainée, que j'ai découvert ce vinyle. Je dévorais Enfer, le magasine metal, et les journalistes les annonçaient plus gros que Metallica. J'étais candide, l'époque était autre, je n'entravais rien aux grosses ficelles. N'empêche, c'était vrai, un peu comme cela s'est plus tard confirmé avec Korn et Deftones. Metallica était à l'époque incontournable: ils étaient jeunes, ils jouaient un thrash brutal et une lueur de folie embrasait leurs pupilles. Hormis la jeunesse, Exodus faisait pourtant mieux sur tous les plans. Ils avaient l'air encore plus déglingués et leur thrash est autrement créatif. L'écoute de Kill'em All, premier et fier opus de Metallica, laisse entendre un groupe sauvage jouant des chansons carrées. BBB est davantage empli d'audace, son champ d'expression est plus vaste, ses poussées dans les extrêmes moins nuancées. A la fois inventif et follement belliqueux, il passe en revue un large panel de sentiments, si bien qu'il ne peut lasser. Bonus: une production parfaite, des chœurs travaillés et surtout la voix de Paul Baloff, sorte de Di'Anno de Maiden. Je me revois encore dans la Datsun Cherry grise, revenant vers la maison en contemplant ce visuel ignoble. Joie intense.
Sepultura – Chaos AD (1993)
Dieu que je me sentais mal en cette époque! Je travaillais à Marseille, logeais dans une tour et me sentais dans la peau d'un loser intégral. Je vivais de façon fragmentée. Musicalement, cela se ressentait. Je carburais au hardcore, que ce soit du speedcore ou la première vague à guitares brutales (Black Flag!). Un jour, Chaos AD est proposé en écoute à Virgin. J'ai écouté. J'ai été transporté. J'ai acheté la K7. Autant la musique performée par les brésiliens m'indifférait gentiment auparavant, autant j'ai compris que, comme dans Trainspotting, l'époque avait changé. Ce disque est celui qui m'a permis de renouer avec le metal. Un metal qui flirtait avec le hardcore et rendait sexy le death, qui était méthodique, gras et cruel, qui repoussait les limites de l'audace. Je me suis toujours fichu de la technique ou de la dextérité. A mon sens, le monde est pop: tout doit être évident. Chaos AD enquille les tubes comme un thrasheur les cannettes. Tout ça assomme, mais c'est ça qui est bon. Et on y revient toujours, en fin de compte.
Brutal Truth – Need to control (1994)
Découvert ce groupe grâce à Earplugged, compilation inaugurale du label Earache. Du monstrueux au programme de ce volume 1. Napalm Death, qui augurait là sa période metal pachydermique. Entombed, au sommet de son art. Bolt Thrower, qui voyait s'éloigner son heure de gloire. Et Brutal Truth. Dans la musique extrême, on peut toujours aller plus loin dans la violence, la vitesse, la noirceur. Need to control est une sorte de garde-fou: au-delà, rien n'est plus vraiment écoutable. Le groupe arrive à lier ici brutalité exacerbée à compréhension. Il joue intensément de véritables chansons. Production dantesque. Basse ronde et claquante. Voix death et hurlements. Reprise de The Germs en prime. Le plus: les plages sonores pré post catastrophe, comme des moments de trêve dans un monde en guerre. Et ce visuel qui me fait toujours m'interroger sur sa signification. Venu du grind, Brutal Truth est ensuite parti dans un plan plus mental lourd, type Black Flag période Rollins. Ils ne pouvaient de toute manière faire mieux. Dans le genre excessif, Panzer division Marduk, des bruitistes Mardul, envoie aussi le bois sacrément loin. Une autre pépite, une autre limite.
Slayer - Undisputed Attitude (1996)
Slayer, ça a toujours été pour moi un faiseur de hits. Les morceaux que le pré punk de 15 ans écoutait à la radio semblaient effectivement de véritables tubes de l'au-delà. Black magic, Hell awaits, Piece by piece, Angel of death sont des créations tellement puissantes, intenses, suffocantes, et donc jubilatoires en soi, que je n'ai guère eu envie de les posséder délayées sur album. Slayer poussait les curseurs de la haine très haut. Et ce look, cette attitude, ces clous! Puis, longtemps après, Undisputed Attitude. Jamais je n'aurais imaginé ça de ce groupe typé thrash sataniste. Un disque uniquement constitué de reprises hardcore + un inédit. Une sélection pointue entre valeurs sûres (Minor Threat) et challengers (Verbal Abuse). La touche metal qui magnifie et unit l'ensemble. Et surtout la violence incoercible de l'affaire. Undisputed Attitude: must éternel. L'archétype même du disque de covers réussi. Et quelle pochette!
Slipknot - Slipknot (1999)
Polémique à la Venom: Slipknot, des escrocs ou des génies? Des clowns, en tout cas, confère leurs masques. Etant donné qu'on les voyait trop fin 90's, j'ai eu la même réaction qu'un peu plus tôt avec Rage Against The Machine: j'ai détesté d'emblée. Puis, j'ai écouté un morceau, (SIC). J'ai vite acquis le CD. Etrange comme cette production aussi extrême a pu séduire autant de monde. Tout est colossal là-dedans, depuis la production jusqu'aux vocalises (surtout). Lorsque la brutalité n'est pas l'ingrédient principal des morceaux, le négativisme et l'agonie reprennent la main, si bien que l'opus oscille entre rage, revanche et tendances suicidaires. Une incongruité commerciale qui, dans la musique, l'écriture et même les ambiances, défie le temps. Plus curieusement encore, ma fille adorait Wait and bleed dans sa prime enfance. Elle est passée à autre chose depuis. Pas moi.