Jacques Dutronc aux arènes de Nîmes, c'est avant tout l'occasion de pénétrer dans ce lieu antique magnifique afin d'observer les rouages en action de la tarification. Plusieurs catégories: le sable de l'arène, recouvert de bitume, empli d'une centaine de chaises – les nantis. Sur les basses tribunes, le carré VIP et les catégories 1. Ensuite, plus on monte, moins les places sont chères. Nous étions tout en haut.
De notre perchoir, on avait une vue superbe, quoique lointaine, sur la scène. Grandiose était cette dernière, avec son toit devant bien culminer à 20 m de haut. Nous sommes arrivés alors que Féloche déjà chantait. C'était globalement horrible, jugement qui doit moins s'appliquer à la prestation qu'au son, quoique. Aigu et trop fort, il empêchait toute écoute attentive. Autour de nous, ça subissait et une seule fille applaudissait. Féloche avait l'air tout petit avec ses deux comparses. Visiblement, la plupart des gens n'avait qu'une seule envie: que cesse ce massacre.
Les travées des arènes sont propices au commerce. On y vend d'ordinaire des chouchous (cacahuètes recouvertes de caramel) et des sodas, on y vendait ce soir de la bière et des sandwichs, puis plus tard des t-shirt. Le coup du marchand de vêtement ambulant était une première. Le plateau était changé mais ça s'éternisait. Enfin, on a vu arriver une bande de types ventripotents. Les gens les ont moyennement applaudi. Ils ont joué une partie répétitive, du bon Halliday des années 80. Ensuite, l'ombre de Jacques s'est faufilé par le côté droit de la scène. Ce bon vieux Dutronc s'est aussitôt affalé sur un fauteuil club noir très classe, et les gens l'ont ovationné.
J'avais lu dans le complaisant Rock'n'Flok combien il était nécessaire à Jacques de réarranger les morceaux, l'homme n'ayant plus, et comment lui en vouloir, son énergie des sixties. De fait, j'étais préparé à une certaine relecture de ses titres. Quand il a commencé par Et moi et moi et moi, j'ai compris. Le tempo était ultra ralenti, la vivacité instrumentale laissait place à un rock – blues bien bien lourd et sa voix moqueuse à des accents nettement plus sages. En somme, ça ressemblait à ce que pouvait chanter Joey Ramone à la fin de sa carrière, c'est à dire qu'il parlait plus que justement il ne chantait et trainait complaisamment sur les fins de phrases.
Les titres mythiques de la première époque était donc passés par cette curieuse trame qui, sans mentir, évoquait Eddy Mitchell. Jacques s'accrochait aux branches. Sa voix était correcte, sans plus. Le comble de l'horreur était néanmoins atteint sur Fait pas ci fait pas ça, où un rappeur musculeux et une blonde absolument sexe le suppléaient au chant. Là, c'était assez pathétique. Par contre, il excellait sur les morceaux plus lents, genre J'aime les filles ou Mme l'existence, qui correspondent mieux à son timbre et ses cordes vocales actuelles. On le sentait évidemment plus à l'aise là-dessus - nous aussi.
Ceci dit, les gens s'en tamponnaient. Ils étaient là pour acclamer l'idole, même la bande de vignerons complètement saouls qui se sont posés direct devant nous et ont commencé à fumer des brunes. A ce moment-là, j'ai constaté que la sécurité avait déserté le contrôle des places devant la scène, les plus chères. Voilà comment on s'est retrouvé assis quasi au premier rang.
Jacques est un vrai timide. Souvent il commence des histoires mais bafouille parce qu'il semble pressé de les achever. Sa timidité éclatait aussi au début, quand les deux guitaristes et le bassiste l'encadraient si étroitement qu'ils paraissaient le soutenir physiquement. Après Jaco s'est détendu. Ses musiciens se sont écartés et il s'est lancé dans deux imitations – Mitterrand et Gainsbourg. Puis, une naine habillé genre Moulin Rouge est venue apporter un grain de folie, à rire à tout rompre et raconter des devinettes, niveau cours élémentaire. Sinon, l'homme tient à sa légende, qu'il cultive par l'exemple inverse. Il n'a pas fumé une seule fois ni avalé la traitre goutte d'alcool. Les spectateurs l'ont encouragé pourtant. Quant à son look, il est fidèle à l'image qu'il donne de lui depuis au moins 30 ans – tout en noir, lunettes et cuir. Et toujours cette fichue coupe de cheveux.
Bref, c'était bien, c'était bon, mais ça faisait un peu peur, quand même.